Grande taille

J'aime travailler

(Mi piace lavorare)

un film de Francesca Comencini

La Biennale di Venezia 2002 : Nuovi Territori

Anna vit seule avec sa fille, Morgana. L'entreprise où elle travaille comme secrétaire a été rachetée par une multinationale. Le jour de la fête de l'entreprise en l'honneur de la fusion, Anna est la seule employée à ne pas avoir été saluée par le nouveau chef du personnel. Un incident banal, ou peut-être seulement un oubli. A partir de ce petit événement, lentement mais inexorablement, le "groupe" se déchaîne contre elle. Les vexations commencent, petites, invisibles, mais répétées. Anna est laissée seule à table à la cantine de l'entreprise, personne ne l'invite plus à prendre le café le matin... Quand ses directeurs changent sa fonction et l'obligent à recommencer tout en bas de l'échelle, Anna perd l'estime de soi, tombe malade et plonge dans une dépression nerveuse. Elle est incapable de s'occuper de sa fille, Morgana, qui néanmoins est la seule à rester auprès de sa mère. Il faudra alors qu'Anna rassemble son courage pour parler à quelqu'un de ce qu'elle traverse…

 Photos

  Fiche technique

Année 2004
Durée 89'
Langue Italien, vost
Visa 112122
Format 35mm, Couleur / 1.1,85
Scénario Francesca Comencini, Assunta Cestaro, Daniele Ranieri
Photographie Luca Bigazzi
Montage Luca Bigazzi
Son Marzia Cordò
Musique Gianni Coscia, Gianluigi Trovesi
Décors Paola Comencini
Costumes Antonella Berardi
Interprètes Nicoletta Braschi, Camille Dugay Comencini, Rose Matteucci
Production BIANCA FILM, RAI CINEMA, BIM DISTRIBUZIONE

  Critiques

Immersion. La salle se rallume. C'est la fin du film. Ca applaudit. C'est un bruit sourd, que dans le fond, on entend à peine. Pourtant il y a du monde dans la salle. Les gens se lèvent. Repartent à leurs petites affaires. D'abord le buffet. Puis les conversations reprennent. Manger. Boire. Parler. C'est'toujours une activité de la plus haute importance. Personne n'y échappe. Moi non plus.

Immersion. Retour à la lumière. A la réalité. On quitte le monde du travail, pour celui des réjouissances. Qu'est-ce qu'on vient de voir au fait ? Oui, un film qui cause du travail. C'est devenu très pertinent le travail de nos jours. Très pertinent, mais aussi assez désespérant. Du moins tel que le film de F. C. nous le montre. On sait bien nous tous, que la réalité rejoint toujours la fiction. Le travail ! Ceux qui nous en font l'offrande. Réjouissez-vous d'en avoir du travail, pas tout le monde a cette chance.

Question jusqu'où peux t’on aller dans l'ignoble ? Loin. Très loin. Question jusqu'où peux Von accepter de se laisser mépriser ? Ca, c'est l'affaire de chacun.

Retour au travail. A l'immersion. Faudrait parler du film. C'est difficile. Parce qu'il y a cette impression diffuse qu'on n'est pas dans un film, mais bien dans la réalité. On y revient toujours à cette histoire de fiction qui rejoint la réalité. Ou le contraire. C'est la méme chose. Etrange tout de méme que l'homme devienne aussi prévisible. Prêt que nous sommes à accepter le pire. Gardant le meilleur pour plus tard. Mais quand ?

C'est donc bien de la réalité dont il s'agit. Je reviens dans le film. J’abandonne les convives. La bouffe. Les conversations. J’essaye de suivre des yeux la petite fille. Sa tenue de danseuse. Qui deviendra peut-étre étoile ou rien. L'homme au vibraphone qui joue sur les trottoirs de la ville. Je me fais tout ombre et silencieux. Je marche sur la pointe des pieds pour tenter d'accompagner la pâle héroïne du film. Je lui emboite le pas à la machine à café. Derrière l'écran de l'ordinateur. A proximité de la photocopieuse. Puis je quitte son lieu de travail en même temps qu'elle le quitte. Maintenant je l'observe, malade qu'elle est sur le bord de son lit. le suis invisible donc lâche, à mon tour. C'est donc ce que nous sommes tous devenus ? Invisibles et lâches ?

Puis se pointe sans prévenir, toujours la méme histoire, celle de la dignité. Un sentiment pathétique et confus qu'on a hérité de nos pères morts. De nos mères encore vivantes. C'est exactement comme avec la connerie, c'est très difficile d'y échapper. En fin de compte, le film pourrait se résumer à ça : à la dignité. Pensant qu'il nous en restera toujours un peu. A offrir. A partager. La dignité. Comme une ponctuation impossibie à effacer. Comme l'espérance. Un soupçon. Une caresse. Fin de l'immersion. Fin de la représentation.
Piccamiglio / janvier 2005

Traité sur le mode de la réalité-fiction, ce film n'est pas sans rappeler, en plus sombre, la descente aux enfers d'Amélie Nothomb dans "Stupeurs et tremblements". Mais le propos de Francesca Comencini est davantage social et porte sur le harcélement du travail.
Paris Match - Alain Spira

Une surprise revigorante venue d'Italie.
Zurban - Olivier Pélisson

Une dénonciation aussi édifiante qu'amère sur la dure vie entreprise.
Première - Christophe Narbonne

Immersion dans la vie d'une salariée malmenée par ses nouveaux patrons. Loin de toute revendication, Francesca Comencini dresse le portrait d'une femme sublime de dignité.
Ciné Live - Arnold

  La réalisation, Francesca Comencini

Réalisateur

Biographie

Née à Rome, fille de Luigi Comencini.

Francesca Comencini s'installe en France en 1982 pour se diriger vers l'écriture, mais se lance rapidement dans la réalisation en adaptant un récit autobiographique, Pianoforte, en 1984. Ce premier film lui vaut de remporter au Festival de Venise le Prix De Sica. Elle ne signe le scénario et la mise en scène de son second long métrage, La Lumière du lac, que quatre ans plus tard, puis devient le temps d'un film assistante réalisatrice de son père Luigi Comencini sur le drame Marcellino (1991), un remake d'une oeuvre espagnole de Ladislao Vajda.

Après l'échec d'Annabelle partagée en 1991, elle travaille pour la télévision en dirigeant deux documentaires, dont un portrait de l'écrivain Elsa Morante en 1995. En 2001, elle fait son retour au cinéma avec le drame Zeno le parole di mio padre, où elle raconte l'histoire d'un homme malheureux qui trouve un sens à sa vie le jour où il tombe amoureux.

Francesca Comencini change ensuite de cap, témoignant sur la mort du jeune manifestant italien Carlo Giuliani, Ragazzo lors du G8 à Gênes. La réalisatrice récidive dans le social en tournant de nouveau dans l'urgence, et avec très peu de moyens, J'aime travailler (2004), résultat d'une longue recherche sur le harcèlement menée auprès du plus important syndicat italien.

Filmographie

J'aime travailler (2004)
Carlo Giuliani, Ragazzo (2002)
Les Mots de mon père (2001)
Annabelle partagée (1991)
La Lumière du lac (1987)
Pianoforte (1984)

 

  Interviews

Interview avec Francesca Comencini

Pourquoi vous intéressez-vous au harcèlement au travail ?

Ce qui m’a interpellé dans le harcèlement au travail c’est que l’on s’infiltre dans la nature la plus intime d’une personne, glissant dans son psychisme, chamboulant son équilibre et tout cela pour le bien-être d’une mentalité économique et marchande. J’ai beaucoup entendu parler de la façon dont tout ceci se termine et je suis devenue curieuse. J’ai donc demandé plus d’informations au bureau d’aide aux personnes harcelées de la filiale romaine du syndicat CGIL.

Quand avez-vous décidé de faire le film ?

Ce qui m’a vraiment poussé, c’est quand j’ai rencontré de véritables victimes du harcèlement au travail. Daniele Ranieri (une syndicaliste) et Assunta Cestaro (une avocate) m’ont demandé d’interviewer ces personnes pour faire un documentaire pour l’usage interne du syndicat. Avant de rencontrer ces victimes, je n’aurais jamais imaginé toute cette souffrance, ce stress, ce sentiment d’incapacité que ce type de victimisation peut causer.

Qui a travaillé avec vous pour Mi piace lavorare ?

Nous avions les récits de ses gens et leur humanité entre nos mains. Le syndicat voulait aider : il est devenu mon directeur de casting. Ils m’ont introduit auprès d’une vingtaine de personnes : des employés, des ouvriers et des syndicalistes qui, un peu sans conviction et sans volonté de supporter un témoin, ont accepté de participer à ce film sur le harcèlement au travail. Les acteurs et les techniciens ont accepté de participer gratuitement. Donatella Botti a produit le film et nous avons réussi à le faire.

L’actrice principale est Nicoletta Braschi. Comment en êtes-vous venue à la choisir ?

Le Pinocchio de Benigni était sur le point de sortir à cette époque. J’ai vu une très belle photo de Nicoletta dans un journal. J’ai pensé qu’elle serait parfaite pour le film dans le rôle d’Anna, une employée timide et sérieuse qui travaille dure, qui aime son travail et qui a aussi à charge une enfant. Et quelques jours plus tard. Une fourmi. Une femme ordinaire qui devient exceptionnelle.
Je l’ai appelé et elle a immédiatement répondu. Nous nous sommes rencontrées, je lui ai parlé du projet et, peu de temps après, elle a accepté le rôle, comme nous tous payée sur les bénéfices que ferait le film. J’ai demandé à ma fille Camille de jouer la fille, Morgana. Heureusement, elle a accepté. J’ai donc eu pour ce film le meilleur casting dont je pouvais rêver. Nicoletta a été parfaite. Toujours simplement parfaite. Nous communiquions sans avoir besoin de parler. Nous nous sommes vraiment bien entendues et nous aimions toutes deux Anna, son personnage.

N’avez-vous pas peur que les gens vous accusent d’avoir fait un film de propagande ?

Il n’y a aucune sorte de propagande dans mon film. C’est un film intimiste au sujet d’une personne qui est très simple en un sens, sans engagement politique.

Comment êtes-vous arrivée à faire jouer autant d’acteurs non professionnels ?

Le scénario n’avait pas de dialogues pré-définis. J’ai demandé à tout le monde d’amener sa propre expérience. Le groupe qui s’est le plus identifié au rôle qu’il jouait était le groupe des ouvriers. Le résultat me surprend à chaque fois que je vois le film. Quelques syndicalistes ont joué les membres de la « faction opposée » et l’ont même fait avec une plus grande intelligence des faits ! Nicoletta les a imprégnés de son naturel étonnant, avec beaucoup d’humilité aussi.


« Luca Bigazzi raconte l’urgence d’un film important : Mi piace lavorare »
(Imaging, printemps 2004)



Luca Bigazzi est un auteur de la photographie reconnu. Il a reçu de nombreux prix dont deux David pour les films Lamerica et Pane e Tulipani et l’Osella au Festival de Venise pour Così Ridevano. Il est très apprécié des grands réalisateurs italiens tels que Gianni Amelio, Silvio Soldini, Michele Placido et Mario Martone, pour ne citer qu’eux. Toutefois Luca est surtout un artiste de la lumière qui aime innover et sortir des sentiers battus. Fidèle à ce principe, il alterne des travaux importants, destinés à une carrière internationale et des choix plus expérimentaux, comme ce long métrage qu’il a récemment tourné, Mi piace lavorare, écrit et dirigé par Francesca Comencini et produit par la Bianca Film de Donatella Botti.

Luca, comment est née l’urgence de réaliser ce film ?
Il y a avant tout une urgence de type politique. Le film parle d’harcèlement, c’est à dire d’une pratique anti-syndicale et anti-humaniste, mise en place parfois par les travailleurs eux-mêmes pour conduire d’autres employés au licenciement. C’est ainsi que, souvent, les travailleurs se voient attribuer des tâches de moins en moins adaptées à leur fonction ; ils sont marginalisés, ce qui entraîne une réaction en chaîne : les collègues s’acharnent sur le travailleur en difficulté. L’entreprise est souvent à l’origine de cette stratégie. Le film s’inspire donc d’une histoire vraie : une secrétaire de direction dans une entreprise en restructuration qui ne peut pas être licenciée pour des raisons familiales, se voit reléguée à des tâches de moindre importance. Cela comporte toute une série de conséquences, maladies, troubles affectifs qui se répercutent aussi sur la famille. C’est un sujet très intéressant dont on commence seulement à saisir l’importance. C’est le thème politique de l’histoire. Et puis il y a une raison personnelle qui me pousse à faire un film de ce genre : un désir de légèreté et de simplicité.

Comment s’explique ce désir ?
Ce film est tourné entièrement caméra à l’épaule, sans groupe électrogène, avec seulement un assistant opérateur et un électricien. Il n’y a pas de machinistes ni d’équipes d’électriciens ; nous nous connectons aux prises des lieux sur lesquels nous tournons et nous nous arrangeons avec des néons et des petites lumières. Nous tournons dans une atmosphère réaliste, utilisant le plus souvent la lumière naturelle. C’est ce qui m’intéresse le plus en ce moment, chercher à faire coïncider la « légèreté » technique avec la recherche d’une image qui ne soit pas pour autant désorganisée et insignifiante. Souvent, quand je tourne, je me rends compte qu’en éclairant les scènes il m’arrive de regretter la situation d’origine. Les documentaires, par exemple, ont une lumière magnifique. Quand j’évalue les lieux pour un film, j’accorde beaucoup d’attention à la lumière qui s’y trouve, car c’est à partir de là que je tire l’inspiration pour ce que je dois reconstruire ou recréer. En réalisant un film comme Il lavoro de cette manière, je ne pense pas que les possibilités photographiques soient diminuées, c’est plutôt une expérimentation très intéressante de ce que la lumière naturelle peut offrir au film de fiction.

Et qu’as-tu découvert à grâce à cette expérience ?
J’apprends énormément : ce dont je me croyais incapable s’avère réalisable. Il y a une plus grande liberté de mouvement, la caméra se déplace plus facilement car il n’y a ni trépieds ni projecteurs. Je suis convaincu que le résultat sera celui escompté, car une histoire de cette sorte doit être racontée avant tout avec un certain réalisme photographique mais aussi parce que la vitesse à laquelle nous tournons nous permet de tourner davantage de plans et de prêter une plus grande attention au jeu d’acteur, en tenant compte d’un temps extrêmement limité : 5 semaines environ.

Pour résumer ce que tu viens de dire : budget très restreint, temps limité, petits moyens… tous les éléments qui pourraient nous faire supposer un choix de prise de vues non conventionnel…tu as choisi le support Super 16mm. Pourquoi ?
C’est un film qui aurait pu – ou du, selon certains- être tourné en numérique, mais, en ce qui me concerne, je n’en suis pas convaincu car la légèreté du numérique n’est qu’apparente : la caméra est légère, mais la Aaton A-minima Super 16mm que nous utilisons l’est également. De plus, la nécessité d’éclairer est moindre lorsque nous tournons en pellicule, par rapport à soi-disante plus grande luminosité du numérique. Selon moi encore, le numérique n’est pas adapté pour certaines lumières. Une fois, en utilisant le numérique, j’ai perdu beaucoup de temps à diminuer la lumière du décor : je tournais avec très peu de lumière car sinon je devais en enlever plus que je ne devais en ajouter. Le résultat était bon mais le temps perdu énorme. Je préfère donc la versatilité de la pellicule : la légèreté de ce nouvel appareil avec des bobines de 61 mètres, ce qui, en S16, correspond à peu près à 5 ou 6 minutes de tournage, ajoutée à la possibilité d’utiliser la nouvelle 7218 Vision2 500T, pellicule très sensible, offrent un résultat optimal.

Peux-tu faire une comparaison entre les coûts du numérique et ceux de la pellicule ?

La différence n’est pas énorme. Nous avons réalisé ce film avec très peu de moyens. Après vérification des prix, nous avons remarqué que l’apparente économie réalisée avec le numérique se résorbe complètement dans le transfert sur pellicule, puisque c’est un film conçu pour les salles. Encore une fois, on ne peut donc pas affirmer que le numérique est plus économique que la pellicule. A l’occasion d’un film que j’ai tourné récemment, Le chiavi di casa (de Gianni Amelio), nous avons réalisé des tests très pointus, en comparant deux caméras HD et une pellicule Super 16, mais le résultat a été de loin supérieur, en terme d’images, sur pellicule.

Finalement quels sont les aspects qui te semblent fondamentaux dans le choix d’un moyen de prise de vues plutôt qu’un autre ?

La simplicité de l’éclairage et la correspondance entre le résultat que j’obtiens et ce que l’œil perçoit du réel. Le numérique réserve souvent des surprises car le passage est double : dans un premier temps on enregistre sur un support vidéo qui présente parfois des problèmes, et dans un second, on effectue un transfert sur pellicule, ce qui implique un certain nombre de variables incontrôlables, étant donné que la technologie n’est pas encore très au point. En ce qui concerne la capacité de restituer les couleurs et des contrastes plus réalistes, je constate souvent sur le support numérique un contraste excessif ou une platitude oppressante. Il s’agit souvent d’un problème de réglage des caméras et de précision durant le transfert de la vidéo sur pellicule : une variable que non seulement moi mais aussi beaucoup d’autres ne réussissons pas à maîtriser.

A ton avis, quelles sont les différences les plus flagrantes entre les deux supports ?

Il existe une différence élémentaire mais pourtant fondamentale : la pellicule est transparente alors que le numérique ne l’est pas. Le support du numérique est une bande magnétique alors que sur pellicule la lumière filtre. C’est comme si l’on comparait la pierre et l’eau, deux matériaux tout à fait différents. Pour moi, les résultats seront donc toujours très différents car la pellicule possède un aspect tridimensionnel que le numérique n’a pas. Je me réfère toujours au numérique transféré sur pellicule car la comparaison se fait à partir du résultat final sur pellicule. Il y a une bidimensionalité due à la structure, à la matière, qui est différente.

Et pour l’avenir, qu’est-ce que tu prévois ?
Le numérique s’améliorera certainement, il s’est déjà amélioré, mais l’écueil existe. Mon discours est assez impartial car je suis un fervent défenseur des nouvelles technologies et même dans certains cas, je préconise l’utilisation du numérique, par exemple pour les documentaires, pour lesquels il est plus raisonnable d’utiliser le numérique. Si j’avais pensé que le format final de ce travail serait celui de la vidéo, peut-être n’aurais-je pas utilisé la pellicule mais, étant donné qu’il finira sur un écran de cinéma, je ne vois pas pourquoi, à égalité des coûts ou presque, je devrais me lancer dans une aventure non pas inconnue, mais beaucoup plus risquée comme celle du numérique.

Par rapport à ce qui vient d’être dit, comment le choix d’utiliser la nouvelle Vision2 7218 500T s’insère dans ton projet créatif ?
Je n’ai aucun préjugés par rapport au numérique, je l’utilise et je continuerai de l’utiliser. Mais à l’instar du numérique, la pellicule s’améliore d’année en année d’un point de vue technique. La nouvelle pellicule Vision2 500T offre un grain si fin qu’elle donne presque envie de ne tourner qu’en Super 16. Je n’ai pas encore vu le résultat de ce film mais, au visionnage des rushes, je suis resté stupéfait devant l’absence de grains, la qualité et la précision de l’image…
Avec un tel résultat, on risque de rester en retard avec la technologie des optiques S16. Avec une pellicule d’une telle finesse, le besoin d’optiques de meilleure qualité se fait sentir.
La technologie s’est un peu enlisée sur ses acquis, mais la haute définition de la Vision2 7218 fait émerger le problème des optiques.

Peux-tu préciser?
Les optiques S16 ont un choix limité de focales et sont restées inchangées depuis près de 20 ans. Si le S16 est destiné à un futur prometteur, comme je le crois, il faudrait penser à rénover les optiques disponibles. Il y a un saut entre le 25mm et le 50mm, il manque une optique intermédiaire. En ce moment, j’utilise une optique conçue pour des lieux qui n’ont pas une lumière suffisante, des objectifs lumineux qui ne pourraient pas être utilisés en extérieur, mais comme il n’y a pas le choix, je suis obligé de les utiliser aussi pour tourner en extérieur jour. Et puis en me servant de la 500 Asa, car je suis fermement convaincu qu’utiliser la même pellicule pour tout le film me permet de maintenir certaines exigences, je suis obligé de mettre beaucoup de filtres neutres sur la caméra mais en contre-partie, je rencontre des problèmes de visibilité dans la loupe. C’est un gros problème qu’on surmontera cependant avec le développement du S16.

Cela contribue à soulever de nouvelles interrogations.
On progresse dans certains champs mais on reste en retard dans d’autres. Moi qui aime tourner avec une qualité sale, réaliste, avec peu de lumière, j’aime beaucoup le grain et je me suis toujours plus préoccupé du contraste et des couleurs que du grain car c’est une perception qui dure quelques instants puis disparaît. Si le grain est perceptible à l’écran, le spectateur l’oublie cependant rapidement. De plus, dans certains cas, le grain peut aussi avoir une fonction narrative. Je ne suis pas un partisan de la netteté absolue, j’aime mettre des gazes, des filtres adoucissants, ce qui va à l’encontre de la recherche de la précision. Bien sûr, si le grain gêne la perception, il devient un problème. Quoi qu’il en soit, la technologie est simple, il suffirait d’ajouter plus d’argent et d’en dépenser plus.

C’est ton premier film italien tourné entièrement avec la Aaton A-minima. Non seulement tu as soigné la photographie, mais tu t’es aussi servi de la caméra en ayant la responsabilité de tourner caméra à l’épaule.
Je suis toujours à la caméra, j’aime tourner caméra à l’épaule. Tant que mon dos me le permettra, je continuerai. L’avantage dans l’utilisation manuelle de la caméra est la rapidité, la possibilité de ne pas entraver les acteurs car on peut les accompagner en leur laissant une grande liberté d’interprétation. Ce film est interprété par une actrice professionnelle, Nicoletta Braschi, alors que tous les autres, à quelques exceptions près, ne sont pas des professionnels mais des syndicalistes militants qui se proposent de jouer gratuitement. Cet aspect est très intéressant, notamment parce que certains d’entre eux sont obligés d’interpréter des directeurs d’entreprise ; c’est intéressant de voir comme ils connaissent ce qu’ils combattent ; ils se sont glissés dans le rôle des « méchants » d’une manière presque cathartique. Il y a eu une grande préparation. Nous n’avions même pas de canevas pour les dialogues. Il y avait seulement des suggestions sur ce qui déroulerait dans la scène. Le texte a été inventé lors des prises de vues, avec une élasticité et une légèreté qui feront de ce film une œuvre possible malgré le budget et le temps limités.

De quel budget parlons-nous ?
Je ne connais pas précisément les chiffres. Nous travaillons en équipe restreinte, avec quelques acteurs bénévoles mais je crois que pour les seules prises de vues nous dépenserons environ 150 000 euros, et tout autant pour la post-production. Nous nous situerons donc aux alentours de 300 000 euros pour le budget global.

Cela peut paraître un chiffre insensé pour réaliser un film, et pourtant…
J’avais déjà réalisé un film de ce genre en 1992 qui a participé au Festival de Venise hors-compétition. Il avait été tourné selon le même principe : entièrement à l’épaule, sans lumière, et avec le même type de troupe - un seul électricien, pas de machinistes et des acteurs non professionnels. Il était en 16 et non en S16. Mi piace lavorare est le premier film tourné entièrement avec l’Aaton A-minima, mais pour moi c’est la continuation d’une expérience déjà réalisée il y a dix ans.

Si tu devais faire un parallèle entre cette expérience et la précédente, qu’est-ce que la Aaton t’a apporté de plus ?
Elle m’a tout d’abord posé quelques problèmes car on arrive très rapidement au bout des bobines de 61 mètres, toutefois cela est surmontable avec l’aide d’un bon assistant opérateur. La véritable différence se situe au niveau du grain et de la qualité de l’agrandissement. Je suis persuadé qu’on discernera difficilement dans ce film la différence d’avec le 35mm alors que le film réalisé en 1992 revendiquait ouvertement et avec fierté sa nature de 16mm. Etant donné la mauvaise qualité de la projection cinématographique actuelle, partir d’un positif excellent et mieux défini permettra de remédier à des lacunes de ce genre.

As-tu fait des choix particuliers en ce qui concerne la composition de l’image ?
Le format S16 est 1:66. Nous avons tourné en format 1:85 car, habitué aux pellicules d’autrefois, sales, j’ai cru que tourner en 1:66 avec un cache 1:85 aurait éliminé toutes les impuretés. De plus, je préfère le format plus rectangulaire. Cette pellicule (la Vision 7218 500T), en plus de sa plus grande définition, de son grain moins épais et de sa précision dans le rendu des contrastes et des demi-teintes, offre une image beaucoup plus propre. Je ne vois jamais rien de ce que je tourne avant que le film ne soit développé. Je ne vais jamais aux visionnages quotidiens des rushes, je fais toujours avant de tourner des essais pour comprendre comment doit être le film : le contraste, l’impression, la couleur.

Et pourquoi ce choix ?
Parce que j’ai eu des mauvaises surprises par le passé qui m’ont influencé lors des prises de vues. J’ai vu des télécinémas trop sombres, trop clairs ou trop plats. Par exemple, le télécinéma du négatif est à tel point privé de contrastes que si on le regarde sans penser à ce défaut, on peut être amené à prendre une autre direction, à se tromper en insistant davantage sur les contrastes. Et puis une fois que j’ai choisi une voie, je n’aime pas changer d’avis.

T’est-il arrivé de travailler avec des réalisateurs qui voulaient que tu ailles voir les rushes ?
Oui, …et je n’y allais pas. Bien sûr, si le réalisateur te le demande ensuite explicitement…je me rappelle que pendant le visionnage des rushes d’un film, au milieu d’un plan, l’image s’est obscurcie et est restée ainsi pendant toute la suite du plan. En allant demander une vérification au laboratoire, ils me répondirent qu’il y avait certainement eu une erreur de diaphragme au cours de la prise de vue. En vérifiant, nous nous sommes aperçus au contraire qu’il s’agissait d’une erreur du laboratoire !


Quel rapport as-tu instauré avec la réalisatrice, Francesca Comencini, un auteur avec lequel tu avais déjà collaboré sur un documentaire qui a été bien reçu, Carlo Giuliani, ragazzo ?
J’ai été frappé par sa capacité à faire jouer des acteurs non professionnels. D’un côté je pensais que cela était dû à l’habileté de Francesca, et d’un autre, au fait d’avoir su mettre les bonnes personnes au bon endroit : les docteurs sont de vrais médecins, les ouvriers le sont aussi dans la vie de tous les jours, etc. Ces personnes interprètent ce qu’elles sont dans la vie. Peut-être que c’est là la clé du film : il s’agit presque d’un documentaire de fiction ou d’un film-documentaire. Espérons que les gens le reconnaissent comme authentique et réel car c’est de là que nous sommes partis. Avec Francesca, nous avons tourné un documentaire avec la CGIL sur le harcèlement, nous avons rencontré une vingtaine de personnes qui ont subi cette pratique. Ils ont écrit le scénario en nous racontant leur histoire. Nous avons tourné environ 18 000 mètres de pellicule en S16, un bon minutage quotidien si l’on considère qu’ils ont été tournés en 5 semaines.

Francesca tourne beaucoup et le film l’impose ?
Les temps d’installation sont si courts que nous changeons de plan en un instant. Nous n’avons pas de chariots ou d’éclairages particuliers. Ce choix est né de mon besoin de penser que le cinéma recommence à parler de la réalité. C’est un réalisme modernisé : ces caméras, les pellicules, la légèreté, la possibilité de n’utiliser que des néons, c’est presque un retour à l’inspiration du cinéma italien d’après-guerre, quand il n’avait aucun moyen. C’était un cinéma italien vraiment important et intéressant. Ne pas profiter aujourd’hui de ces nouvelles opportunités technico-pratiques qui élargissent la machine cinéma serait une erreur.

Comment as-tu éclairé le plateau sans groupe électrogène ?
En réalité, les 3kw d’une habitation ont été suffisants car je n’ai utilisé que des néons, des petites lampes et des lumières de faible intensité.

Donc tu n’as pas rencontré de contraintes particulières ?
Tout à fait, et je crois même que la consommation du compteur sera très basse. La lumière n’a jamais sauté, et cela en dit long. Ce n’est pas un choix lié à la nouvelle pellicule mais plutôt à ma manière de travailler, particulièrement dans des endroits aussi petits.

Tout gérer soi-même, des mouvements de caméra à la composition des plans, le tout dans une lumière certes naturelle mais aussi contraignante car limitée en terme de puissance, n’est-ce pas une charge trop fatigante ?
En réalité non, car je dois seulement rester collé aux acteurs et l’entente que j’ai avec mon assistant opérateur, Salvatore Bognani, m’aide beaucoup. Souvent nous ne faisons pas de répétitions, nous ne savons pas ce qu’il arrivera, on peut donc parler d’entente et de compréhension pour ses propres erreurs et celles d’autrui.

Certains de tes propos m’ont immédiatement fait penser à Dogma 95 de Lars Von Trier. Y a t-il une correspondance ?
Non, car je ne suis pas un fanatique. L’éclairage, si faible soit-il, doit tout de même être présent, mais de façon à ce qu’il ne se remarque pas. Je ne crois pas que l’intégrisme soit une voie praticable. Il n’y a pas de raisons pour ne pas mettre d’éclairage. Le choix de la caméra à l’épaule est ensuite très personnel. Dans ce film, je l’ai fait non pas par idéologie, mais pour des raisons pratiques de flexibilité, de légèreté et de rapidité. Cela me semblait la chose la plus juste et logique à faire : placer quelques lumières car je crois que les acteurs doivent être éclairés, pas trop, mais toujours un peu. J’aime à penser que les lumières que j’installe créent un effet de réalité tel qu’on ne soupçonne pas leur présence, c’est une philosophie qui est à la base de ma manière de faire du cinéma.